L3 - 6. L'Aigle, la Laie, et la Chatte
L'Aigle avait ses petits au haut d'un arbre creux.
La Laie au pied, la Chatte entre les deux ;
Et sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisaient leur tripotage.
La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord.
Elle grimpa chez l'Aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères)
Ne tardera possible guères.
Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment
Cette maudite Laie, et creuser une mine ?
C'est pour déraciner le chêne assurément,
Et de nos nourrissons attirer la ruine.
L'arbre tombant, ils seront dévorés :
Qu'ils s'en tiennent pour assurés.
S'il m'en restait un seul, j'adoucirais ma plainte.
Au partir de ce lieu, qu'elle remplit de crainte,
La perfide descend tout droit
A l'endroit
Où la Laie était en gésine.
Ma bonne amie et ma voisine,
Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis.
L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits :
Obligez-moi de n'en rien dire :
Son courroux tomberait sur moi.
Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,
La Chatte en son trou se retire.
L'Aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses petits ; la Laie encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins,
Ce doit être celui d'éviter la famine.
A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine
Pour secourir les siens dedans l'occasion :
L'Oiseau Royal, en cas de mine,
La Laie, en cas d'irruption.
La faim détruisit tout : il ne resta personne
De la gent Marcassine et de la gent Aiglonne,
Qui n'allât de vie à trépas :
Grand renfort pour Messieurs les Chats.
Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse ?
Des malheurs qui sont sortis
De la boîte de Pandore,
Celui qu'à meilleur droit tout l'Univers abhorre,
C'est la fourbe, à mon avis.
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L3 - 7. L'Ivrogne et sa Femme
Chacun a son défaut où toujours il revient :
Honte ni peur n'y remédie.
Sur ce propos, d'un conte il me souvient :
Je ne dis rien que je n'appuie
De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus
Altérait sa santé, son esprit et sa bourse.
Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course
Qu'ils sont au bout de leurs écus.
Un jour que celui-ci plein du jus de la treille,
Avait laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps :
Un luminaire, un drap des morts.
Oh ! dit-il, qu'est ceci ? Ma femme est-elle veuve ?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton,
Masquée et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'Epoux alors ne doute en aucune manière
Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu ? dit-il à ce fantôme.
- La cellerière du royaume
De Satan, reprit-elle ; et je porte à manger
A ceux qu'enclôt la tombe noire.
Le Mari repart sans songer :
Tu ne leur portes point à boire ?
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L3 - 8. La Goutte et l'Araignée
Quand l'Enfer eut produit la Goutte et l'Araignée,
"Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter
D'être pour l'humaine lignée
Egalement à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.
Voyez-vous ces cases étrètes,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés ?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.
Tenez donc, voici deux bûchettes ;
Accommodez-vous, ou tirez.
- Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise. "
L'autre, tout au rebours, voyant les Palais pleins
De ces gens nommés Médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : "Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet
Jamais Hippocrate me somme."
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,
Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie,
Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre Bestion tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,
Il va trouver la Goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois
Que la plus malheureuse Aragne.
Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer. Goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.
"Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma soeur l'Aragne." Et l'autre d'écouter :
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La Goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un Prélat, qu'elle condamne
A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes, Dieu sait. Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte ;
Et fit très sagement de changer de logis.
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L3 - 9. Le Loup et la Cigogne
Les Loups mangent gloutonnement.
Un Loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie :
Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce Loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une Cigogne.
Il lui fait signe ; elle accourt.
Voilà l'Opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l'os ; puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.
"Votre salaire ? dit le Loup :
Vous riez, ma bonne commère !
Quoi ? ce n'est pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou ?
Allez, vous êtes une ingrate :
Ne tombez jamais sous ma patte. "
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L3 - 10. Le Lion abattu par l'homme
On exposait une peinture
Où l'artisan avait tracé
Un Lion d'immense stature
Par un seul homme terrassé.
Les regardants en tiraient gloire.
Un Lion en passant rabattit leur caquet.
"Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire ;
Mais l'Ouvrier vous a déçus :
Il avait liberté de feindre.
Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre. "
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