Michel de Montaigne
M.H. Nguyen 16.08.2014 18:09:26 (permalink)
Ce matin, le soleil est rayonnant, une tasse de café à la porté, la tranquillité tout autour...
Et ce petit livre " Un été avec Montaigne" d' Antoine Compagnon entre les mains, que de bonheur: si simple, si beau...
La lecture et le partage, quoi de mieux?!
Merci l'auteur  et le grand philosophe des siècles!
 
 
***
 
La conversation.
 
Comment Montaigne se comporte-t-il dans la conversation, que ces soit un entretien familier ou une discussion plus protocolaire ? Il l’explique au chapitre « De l’art de conférer », dans le troisième livre des Essais.

La conférence, c’est le dialogue, la délibération. Il se présente comme un homme accueillant aux idées des autres, ouvert, disponible, et non têtu, borné, buté dans ses opinions :
   «  Je festoie et caresse la vérité en quelque main que je la trouve, et m’y rends allégrement, et lui tends mes armes vaincues, de loin que je la vois approcher. Et pourvu qu’on y procède d’une trogne trop impérieusement magistrale, je prends plaisir à être repris. Et m’accommode aux accusateurs, souvent plus, par raison de civilité, que par raison d’amendement : aimant à gratifier et à nourrir la liberté de m’avertir,  par la facilité de céder » (III, 8,1447).

Montaigne assure qu’il respecte la vérité, même lorsqu’elle est prononcée par quelqu’un d’antipathique. Il n’est pas orgueilleux, ne ressent pas la contradiction comme une humiliation, aime à être corrigé s’il se trompe. Ce qu’il apprécie peu, ce sont les interlocuteurs arrogants, sûrs de leur fait, intolérants.
Il semble donc un parfait honnête homme, libéral, respectueux des idées, n’y mettant aucun amour –propre, ne cherchant pas à avoir le dernier mot. Bref, il ne conçoit pas la conversation comme un combat qu’il faudrait emporter.

Pourtant, il ajoute aussitôt une restriction : s’il cède à ceux qui le reprennent, c’est plus par politesse que pour s’améliorer, surtout si son contradicteur est infatué de lui-même. Alors il s’incline, mais sans soumettre son intime conviction. N’est-ce pas là de sa part une feinte, malgré son éloge constant de la sincérité ?  A ses adversaires effrontés, et même aux autres, il tend à donner raison sans résister, par courtoisie, pour, dit-il, qu’on continue de le détromper, de l’éclairer. Il faut rendre les armes  à l’autre-ou du moins de lui faire croire-, afin que celui-ci n’hésite pas à vous donner son avis dans l’avenir.

   «  Toutefois, poursuit-il, il est malaisé d’y attirer les hommes de mon temps. Ils n’ont pas le courage de corriger, parce qu’ils n’ont pas le courage de souffrir à l’être : Et parlent toujours avec dissimulations, en présence les uns des autres. Je prends si grand plaisir d’être jugé et connu, qu’il m’est comme indifférent, en quelle des deux formes je le sois. Mon imagination se contredit elle-même si souvent, et condamne, que ce m’est  tout un, qu’un autre le fasse : vu principalement que je ne donne à sa répréhension, que l’autorité que je veux. Mais je romps paille avec celui, qui ne tient si haut à la main : comme j’en connais quelqu’un, qui plaint son avertissement, s’il n’en est cru : et prend à injure, si on estrive [renâcle] à le suivre » (1447).

Montaigne regrette que ses contemporains ne le contestent pas assez, par hantise de se voir eux-mêmes contestés. Comme ils n’aiment pas être contrariés, que cela les humilie, ils ne contrarient pas, et chacun s’enferme dans ses certitudes.

Nouveau et dernier tournant : si Montaigne acquiesce aisément à autrui, c’est non seulement par urbanité, pour encourager son interlocuteur à lui donner la réplique, mais aussi parce qu’il est peu sûr de lui-même, que ses opinions sont changeantes, et qu’il se contredit tout seul. Montaigne aime la contradiction, mais il suffit à se la donner. Ce qu’il déteste par –dessus tout, ce sont les gens trop fiers qui s’offusquent que l’on ne se range pas à leur avis. S’il est bien une chose que Montaigne condamne, c’est la suffisance, la fatuité.
 
 
 
***
 
 
 Extrait du livre "Un été avec Montaigne" d’Antoine Compagnon.
 
 
<bài viết được chỉnh sửa lúc 16.08.2014 19:48:28 bởi M.H. Nguyen >
#1
    M.H. Nguyen 28.08.2014 03:55:55 (permalink)
     
     
    ... Un autre chapitre du même livre!
    La conclusion est remarquable .

     
    *
     
    Le temps perdu.
     
    Dans les marges de l’exemplaire de Bordeaux des Essais, ce gros volume in_quarto de l’édition de 1588 que Montaigne bourra d’ »allongeails » juqu’à sa mort en 1592, nombreuses sont les réflexions qui reviennent après coup sur son projet, comme cette addition du chapitre «  Du démentir » :
      «  Et quand personne ne me lira, ai-je perdu mon temps, de m’être entretenu tant d’heures oisives, à pensements si utiles et agréables ? Moulant sur moi cette figure, il m’a fallu si souvent testonner et composer, pour m’extraire, que le patron s’en est fermi, et aucunement formé soi-même. Me peignant pour autrui, je me suis peint en moi, de couleurs plus nettes, que n’étaient les miennes premières. Je n’ai pas plus fait mon livre, que mon livre m’a fait. Livre consubstantiel à son auteur : D’une occupation propre : Membre de ma vie : Non d’une occupation et fin tierce et étrangère, comme tous les autres livres »(II, 18, 1026).
       A quoi bon les Essais ? Ce qui rend Montaigne si humain, si proche de nous, c’est le doute, y compris sur lui-même. Il hésite toujours, partagé entre le rire et la tristesse. Au bout des Essais, cet homme qui leur a avoué la plus belle part de sa vie en est encore à se demander s’il a perdu son temps. Le livre est donné pour un moulage, comme une empreinte prise sur un modèle afin d’en reproduire les contours. Mais Montaigne va plus loin, ne se contente pas de cette analogie simple : il décrit aussitôt une dialectique qui lie l’original et la reproduction, le «  patron » et la «  figure », pour reprendre ses termes. L’action du moulage a transformé le modèle, qui en ressort mieux «  testonné », c’est-à-dire mieux coiffé, plus arrangé. Le modèle se retrouve dans la copie, mais la copie a modifié le modèle : ils se sont faits l’un à l’autre, ou l’un l’autre, si bien qu’ils sont devenus indistincts : » qui touche l’un, touche l’autre », dira Montaigne dans le chapitre «  Du repentir » (III, 2,1258).
        On sent qu’il éprouve une certaine fierté d’avoir réussi dans une entreprise sans précédent, puisqu’aucun auteur avant lui n’avait eu l’ambition de réaliser cette parfaite identité entre l’homme et le livre. Mais cette petite vanité doit être aussi démentie, car tout s’est fait sans dessein, par hasard, en suivant son plaisir.
        «  Ai-je perdu mon temps, de m’être rendu compte de moi, si continuellement ; si curieusement ? Car ceux qui se repassent par fantaisie seulement, et par langue, quelque heure, ne s’examinent pas si primement, ni ne se pénètrent, comme celui qui en fait son étude, son ouvrage et son métier : qui s’engage à un registre de durée, de toute sa foi, de toute sa force. […] Combien de fois m’a cette besogne diverti de cogitations ennuyeuses ? » (II, 18, 1026-1027).
        Montaigne a conscience de la singularité et de la témérité de sa démarche : ceux qui s’examinent seulement en pensées, en paroles, ou de temps à autre, ne vont pas aussi loin dans la connaissance de soi, c’est-à-dire la connaissance de l’homme. Montaigne sait que le fait d’écrire, de s’écrire, l’a changé, en lui-même et les autres. «  Qu’un homme tel que Montaigne ait écrit, véritablement la joie de vivre sur terre s’en trouve augmentée », reconnaîtra Nietzche.
        Mais il n’est pas question de « planter une statue au carrefour » (II, 18, 1025) : dès qu’il s’est un peu poussé, Montaigne se retire : avant tout, l’écriture a été une distraction, un remède contre l’ennui, un secours contre la mélancolie.
     
     
     
    Extrait du livre Un été avec Montaigne d’Antoine Compagnon.
     


     
     
    <bài viết được chỉnh sửa lúc 28.08.2014 04:04:06 bởi M.H. Nguyen >
    #2
      M.H. Nguyen 17.09.2014 03:46:48 (permalink)
       
      ... encore un chapitre savoureux!
       
      *
       
      Le livre.
       
      Dans le chapitre «  Des trois commerces », Montaigne compare les trois genres de fréquentation qui ont occupé la plus belle part de sa vie : les «  belles et honnêtes femmes », les « amitiés rares et exquises », enfin les livres, qu’il juge plus profitables, plus salutaires, que les deux premiers attachements :
        «  Ces deux commerces [l’amour et l’amitié] sont forfuits, et dépendants d’autrui : l’un est ennuyeux par sa rareté, l’autre se flétrit avec l’âge : ainsi ils n’eussent pas assez pourvu au besoin de ma vie. Celui des livres, qui est la troisième ; est bien plus sûr et plus à nous. Il cède aux premiers, les autres avantages : mais il a pour sa part la constance et facilité de son service » (III, 3, 1292).
         Depuis la mort de La Boétie, Montaigne n’a plus connu de vraie amitié, et il regrette ailleurs, dans le chapitre «  Sur des vers de Virgile », la diminution de sa vigueur amoureuse. Sans doute ces deux sortes d’accointance donnent-elles lieu à des emportements plus fiévreux, à des sensations plus véhémentes, parce qu’elles vont au contact de l’autre, mais elles sont aussi plus éphémères, plus imprévisibles, moins continues. La lecture, elle, offre l’avantage de la patience et de la permanence.
         Ce parallèle entre l’amour, l’amitié et la lecture, lesquelles composeraient une sorte de gradation, a pu heurter. Ainsi, la lecture exigeant la solitude, serait-elle supérieure à toutes les relations engageant autrui, conçues comme des divertissements qui nous éloignent de nous-même. Les livres seraient de meilleurs amis ou amours que les êtres réels. Avant de l’affirmer, n’oublions pas que Montaigne ne cesse jamais de concevoir la vie comme une dialectique entre moi et autrui. Si la rareté de l’amitié et la fulgacité de l’amour incintent à privilégier le refuge de la lecture, celle-ci ramène inévitablement aux autres. Des « trois commerces », admettons toutesfois que la lecture soit le mailleur :
         «Celui-ci côtoie tout mon cours, et m’assiste partout : il me  console en la vieillesse et en la solitude : il me décharge du poids d’une oisiveté ennuyeuse : et me défait à toute heure des compagnies qui me fâchent : il émousse les pointures de la douleur, si elle n’est du tout extrême et maîtresse : Pour me distraire d’une imagination importune, il n’est que de recourir aux livres, il me détournent facilement à eux, et me la dérobent : Et si ne se mutinent point, pour voir que je ne les recherche, qu’au défaut de ces autres commodités, plus réelles, vives et naturelles :ils me reçoivent toujours de même visage » (1292).
         Les livres sont des compagnons toujours disponibles. Vieillesse, solitude, oisiveté, ennui, douleur, anxiété : il n’est aucun mal ordinaire de la vie auquel ils ne sachent fournir un remède, à condition que ces maux ne soient point trop vifs. Les livres modèrent les soucis, offrent un recours et un secours.
         On peut quand même sentir pointer un peu d’ironie dans ce portrait avantageux des livres. Ceux-ci ne protestent jamais, ne se rebellent pas lorsqu’ils sont négligés, à la différence des femmes et des hommes de chair et d’os. Les livres sont des présences toujours bienveillantes, douées d’équanimité, alors que les amis et les amantes souffrent des sautes d’humeur.
         À l’orée des temps modernes, Montaigne est de ceux qui, par leur éloge de la lecture, ont le mieux annoncé la culture de l’imprimé. Au moment où nous sommes peut-être en train de la quitter, il est bon de se souvenir que c’est dans les livres que les hommes et les femmes se sont connus et retrouvés, durant plusieurs siècles en Occident.
       
       
      Extrait du livre Un été avec Montaigne d’Antoine Compagnon.
       
       


      #3
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