NGUYÊN BẢN BẰNG TIẾNG PHÁP
HAMILCAR SAUVE LE PETIT HANNIBAL (1862) L’action de Salammbô se passe à Carthage, au III siècle avant J.C. La ville est terrorisée par la révolte des soldats mercenaires. Aussi decide-t-on d’offrir un sacrifice sanglant au dieu Moloch; À cet effet le prête fait rechercher tous les enfants des plus nobles familles. Hamilcar sauve de la mort son fils Hannibal, en lui substituant un enfant d’esclave. Flaubert représente avec un pathétique sobre et farouche la douleur du malheureux père à qui son enfant est arraché.
Ils arrivèrent chez Hamilcar tout à coup, et le trouvant dans ses jardin: “Barca! Nous venons pour la chose que tu sais…ton fils!” Ils ajoutèrent que des gens l’avaient rencontré un soir de l’autre lune, au milieu des Mappales (1) conduit par un vieillard.
Il fut d’abord comme suffoqué. Mais bien vite comprenant que toute dénégation serait vaine, Hamilcar s’inclina; et il les introduisit dans la maison de commerce. Des esclaves accourus d’un signe en surveillaient les alentours.
Il entra dans la chambre de Salammbô (2) tout éperdu. Il saisit d’une main Hannibal, arracha de l’autre la ganse d’un vêtement qui trainait, attacha ses pieds, ses mains, en passa l’extrémité dans sa bouche pour lui faire un baîllon, et il le cacha sous le lit de peaux de boeuf, en laissant retomber jusqu’à terre une large draperie.
Ensuite il se promena de droite et de gauche; il levait les bras, il tounait sur lui même, il se mordait les lèvres. Puis il resta les prunelles fixes et haletant comme s’il allait mourir.
Mais il frappa trois fois dans ses mains. Giddenem parut.
“Écoute! Dit- il. tu vas prendre parmi les esclaves un enfant mâle de huit ans à neuf ans avec les cheveux noirs et le front bombé! Amène- le! Hâte- toi!”
Bientôt Giddenem rentra en présentant un jeune garcon. C’était un pauvre anfant à la fois maigre et bouffi; sa peau semblait grisâtre comme l’infect haillon suspendu à ses flancs; il baissait la tête dans ses épaules et du revers de sa main frottait ses yeux tout remplis de mouches.
Comment pourrait-on jamais le confondre avec Hannibal! Et le temps manquait pour en choisir un autre! Hamilcar regardait Giddenem; il avait envie de l’ étrangler.
“Va-t’en!” cria-t-il. Le maître des esclaves s’enfuit.
Donc le malheur qu’il redoutait depuis si longtemps était venu et il cherchait avec des efforts démesurés s’il n’y avait pas une manière un moyen d’y échapper
Abdalonim tout à coup parla derrière la porte. On demandait le suffète. Les serviteurs de Moloch s’impatientaient.
Hamilcar retint un cri comme à la brûlure d’un fer rouge; et il recommença de nouveau à parcourir la chambre, tel qu’un insensé Puis il s’affaissa au bord de la balustrade et, les coudes sur ses genoux, il serrait son front dans ses deux poings fermés.
La vasque de porphyre contenait encore un peu d’eau claire pour les ablutions de Salammbô . Malgré sa répugnance et tout son orgeuil, le suffète y plongea l’enfant, et comme un marchand d’esclaves. Il se mit à le laver et à le frotter avec des strigilles. Il prit ensuite dans les casiers autour de la muraille deux carrés de pourpre, lui en posa un sur la poitrine, l’autre sur le dos et il les réunit contre ses clavicules par deux agrafes de diamant. Il versa un parfum sur sa tête, il passa autour de son cou un collier d’ électrum et il le chaussa de sandales à talons de perles, les propres sandales de sa fille! Mais il trépignait de honte et d’irritation. Salammbô qui s’empressait à le servir, était aussi pâle que lui. L’enfant souriait, ébloui par ces splendeurs et même s’enhardissant, il commençait à battre des mains et à sauter quand Hamilcar l’entraîna.
Il le tenait par le bras fortement comme s’il avait eu peur de le perdre; et l’enfant auquel il faisait mal pleurait un peu tout en courant près de lui.
A la hauteur de l’ergastule sous un palmier une voix s’ éleva une voix lamentable et suppliante. Elle murmurait: “Maître! Oh! Maître!”.
Hamilcar se retourna, et il aperçut a ses côtés un homme d’apparence abjecte, un de ces misérables vivant au hazard dans la maison._”Que veux- tu?” dit le suffète. L’esclave, qui tremblait horriblement, balbutia: “je suis son père!”
Hamilcar marchait toujours; l’autre le suivait, les reins courbés, les jarrets fléchis, la tête en avant. Son visage était convulsé par une angoisse indicible, et les sanglots qu’il retenait l’ étouffaient, tant il avait envie tout à la fois de le questionner et de lui crier: “Grâce!”
Enfin il osa le toucher d’un doigt, sur le coude légèrement “Est-ce que tu vas le…?” Il n’eut pas la force d’achever, et Hamilcar s’arrêta, tout ébahi de cette douleur.
Il n’avait jamais pensé _tant l’abîme les séparant l’un de l’autre se trouvait immense_ qu’il pût y avoir entre eux rien de commun.
Cela même lui parut une sorte d’outrage et comme un empiètement sur ces privilèges. Il repondit par un regard plus froid et plus lourd que la hache d’un bourreau; l’esclave, s’ évanouissant, tomba dans la poussière, à ses pieds. Hamilcar enjamba par dessus.
Les trois hommes en robe noire l’attendaient dans la grande salle, debout contre le disque de pierre. Tout de suite il déchira ses vêtements et il se roulait sur les dalles en poussant des cris aigus:
“Ah! Mon pauvre petit Hannibal! Oh! Mon fils! Ma consolation! Mon espoir! Ma vie! Tuez moi aussi, emportez moi ! Malheur! Malheur!”. Il se labourait la face avec ses ongles, s’arrachait les cheveux et hurlait comme les pleureuses des funerailles.”Emmenez-le donc! Je souffre trop! Allez vous-en! Tuez-moi comme lui.”.Les serviteurs de Moloch s’étonnaient que le grand Hamilcar eût le coeur si faible. Ils en étaient presque attendris.
On entendit un bruit de pieds nus avec un râle saccadé, pareil à la respiration d’une bête féroce qui accourt; et sur le seuil de la troisième galerie, entre les montants d’ivoire, un homme apparut, blême, terrible les bras écartés; il s’ écria:”Mon enfant!”
Hamilcar, d’un bond, s’ était jeté sur l’esclave; et en lui couvrant la bouche de sa main, il criait encore plus haut: “C’est le vieillard qui l’a élevé! Il l’appelle mon enfant! Il en deviendra fou! Assez! Assez!” Et chassant par les épaules les trois prêtres et leur victime, il sortit avec eux, et un grand coup de pied referma la porte derrière lui.
Hamilcar tendit l’oreille pendant quelques minutes, craignant toujours de les voir revenir. Il songea ensuite a se defaire de l’esclave pour être bien sûr qu’il ne parlerait pas; mais le peril n’ était point complètement disparu et cette mort, si les dieux s’en irritaient, pouvait se retourner contre son fils. Alors changeant d’idée, il lui envoya par Taanach les meilleures choses de cuisine: un quartier de bouc, des fèves et des conserves de grenades. L’esclave qui n’avait pas mangé depuis longtemps se rua dessus; ses larmes tombaient dans les plats.
(Salammbô Michel Levy, éditeur).
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